Tantra et sexualité

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  • Le 19/01/2018
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Pourquoi tant de haine ? 

Quel que soit le nom sous lequel on la cache, la sexualité se trouve au coeur du massage tantrique, et plus largement du tantrisme. S'il ne s'agissait que de cela, elle n'aurait guère d'intérêt, car il existe actellement mille autres moyens plus faciles de la pratiquer. Si le tantra recourt à la sexualité c'est qu'il considère qu'elle est le moteur humain le plus puissant pour produire de l'énergie : elle est à l'origine de toute vie, en est un moteur essentiel, parvenant à renverser des obstacles apparemment insurmontables. Accessible à tout un chacun, elle apporte de plus un plaisir intense, solitaire ou partagé. De quoi donc la faire détester de ceux qui rêvent d'un monde meilleur (pourquoi le rechercher s'il se trouve déjà sur terre ?) et tenter de la contrôler pour ceux qui veulent diriger "au mieux" les consciences, donc la société. 

Les ascètes, tout aussi mal vus des pouvoirs en place, suivent un chemin inverse, en domptant leurs corps, leurs instincts, et avant tout leur sexualité. Si le chemin tantrique semble plus accessible, il ne promet pas l'extase à tout un chacun. Il n'a rien non plus d'un libertinage : la multiplication des partenaires, loin d'apporter l'apaisement, pousse à une recherche constamment inassouvie. L'acte sexuel lui-même n'apporte qu'un plaisir limité dans le temps, s'il n'a pour but que l'orgasme "classique". En revanche, la sollicitation par le massage des zones érogènes éveille cette énergie particulièrement puissante, une énergie également générée dans d'autres parties du corps, mais pas de manière aussi forte. Il n'existe cependant pas "une" énergie sexuelle différente des autres : une seule énergie anime pour le tantra, l'univers comme les êtres humains ; en eux, elle est  gérée par divers centres appelés les chakras, répartis du périnée au sommet du crâne, au cerveau et diffusée par les nadis, ces vecteurs invisibles qui irriguent l'ensemble du corps, et sur lesquels se fonde l'acupuncture. Grâce à eux l'excitation générée par les sens circule à travers tout le corps. Ne parle-t-on pas de "frisson de plaisir" ? Vouloir cantonner l'énergie sexuelle aux zones érogènes par une satisfaction rapide, c'est priver le reste du corps de ses bienfaits. La nier ou la refuser, c'est le faire mal fonctionner. Les sociétés ou les milieux les plus rigoristes qui prétendent l'exclure, ne font que favoriser l'hypocrisie et la perversité. Le bon docteur Freud l'a suffisamment démontré. Le tantra est la seule doctrine qui reconnaît la sexualité et l'utilise dans sa pratique.  

 

Khajuraho couple kissing

 

Or cette sexualité est mal considérée. Un lourd héritage a été porté de siècle en siècle par des sociétés qui ont cherché à l'étouffer, au mieux à la canaliser. Lorsque les guerres, les maladies ou les épidémies décimaient des populations qui avaient une espérance de vie d'une trentaine d'années (Moyen Age occidental), leur survie passait par l'obligation de procréer. Il fallait donc avoir le plus d'enfants possible, et les condamnations les plus sévères touchaient les pratiques sexuelles qui ne la permettaient pas (homosexualité, sodomie, fellation, masturbation...). D'où aussi la polygamie et les mariages forcés.  Le mariage devenu sacré permettait d'une part d'assurer l'éducation des enfants, d'autre part, la transmission des biens. En contrepartie, les enfants devaient être "légitimes", et l'épouse obligatoirement fidèle. Pas question de valoriser pour elle un plaisir qui pouvait la détourner de la procréation. La femme était avant tout, (à défaut d'être vierge, le statut idéal pour celle qui ne se mariait pas), un ventre à donner la vie, la garante du confort domestique... voire un moyen d'étayer sa fortune. L'homme jouissait en revanche de toutes les libertés. Les sentiments avaient peu d'importance, et les mariages étaient la plupart du temps arrangés afin d'unir des lignages, des biens... Peu à peu s'est développé le thème de l'amour-passion qui, contrevenant aux règles sociales (il n'avait plus besoin de la société), fut systématiquement voué à l'échec. Il en est cependant resté un idéal, celui d'un couple où chacun cherchait tout en l'autre ; la femme devait être belle, sensuelle, mère, amante, bonne gestionnaire, sensible ; l'homme fort, courageux, travailleur, père, amant, intelligent, protecteur... La désillusion ne tarda guère. Dans des sociétés où le divorce quasiment impossible était systématiquement condamné, restait à trouver un modus vivendi. L'homme recherchait le plaisir sexuel en dehors de son couple, dans des maisons closes, ou des conquêtes innombrables qui le valorisaient ; la femme, dans des rêveries ou des plaisirs solitaires jugés "coupables", parfois dans des aventures, elles, unanimement condamnées.

Le tantra, à l'image de toutes les philosophies orientales ne vise pas à bouleverser le monde. Il demande en priorité à s'occuper de soi-même. Respectant les opinions et croyances les plus diverses, il affirme la liberté de chacun, provoquant ainsi sa condamnation par les ordres établis. Cela explique le secret qui a entouré sa transmission durant des siècles. Chacun est responsable de sa vie, donc de son bonheur... ou de son malheur. Il n'y a pas à rechercher de cause, ou de responsable à l'extérieur. Une maxime chrétienne "Aide-toi et le ciel t'aidera" va d'ailleurs dans le même sens. Celui ou celle qui ne vit qu'à travers l'autre ne s'épanouit pas, et la perte de l'autre, quelle qu'en soit la raison, devient une catastrophe. Il faut dissocier amour et plaisir : à force de vouloir les réunir à tout prix, on détruit l'un et l'autre. Le plaisir, même créé par l'autre, ne peut être ressenti qu'individuellement. L'amour fait brutalement entrer  dans la vie d'un être, une autre personne qui, quoi que l'on en pense dans les premiers temps, est fondamentalement différente, avec une autre histoire, d'autres attentes. Ce dont on se rend compte peu à peu. Lorsque l'on considère qu'une séparation est plus néfaste qu'une cohabitation, l'amour s'étoffe de nouveaux liens : enfants, spectacles, musique, nourriture... mais la plupart du temps, la sexualité n'y trouve plus son compte. Or elle reste le fondement de la vie... et de la jeunesse. Elle peut alors s'enrichir de nouvelles pratiques, et les sollicitations sexuelles ne sont plus systématiquement associées à son partenaire, ne détruisant en rien un amour qui s'épanouit sur un autre plan : écouter une musique magnifique, déguster un met délicat, contempler un tableau extraordinaire apporte un plaisir individuel que l'autre ne partage pas forcément. Serait-ce une cause de rupture ? Pourquoi en irait-il différemment dans le domaine sexuel ? Un massage apporte du bien-être à l'un ou à l'autre sans pour cela briser l'amour. Permettre à son (sa) partenaire d'éprouver du plaisir sans en être la cause n'est-il pas plus important que de le lui interdire ?  

Malgré la singularité du plaisir et de tout chemin initiatique, on ne peut oublier que l'homme vit avec d'autres hommes, dans un monde et plus largement un univers qui se reflètent en lui. Il est illusoire de lutter contre eux (d'où la doctrine de la non violence, ou, pour le taoïsme, du "non agir"). Ce n'est pas en dominant le monde, les animaux ou la nature que l'on découvre sa force. Les catastrophes naturelles rappellent régulièrement que la nature n'a que faire de la "puissance" de l'homme. Qu'il le veuille ou non, il doit s'harmoniser avec ce qui l'entoure, tisser des liens  (pour reprendre une étymologie du mot "tantra"), et chercher ainsi une extase qui devient fusion avec l'univers. À deux, cela est évidemment plus facile, mais  n'est pas indispensable. 

Le propre du tantrisme, par rapport à d'autres voies, est d'utiliser la sexualité pour progresser. En effet, il s'agit de suivre un chemin qui impose ses contraintes : ce n'est pas un simple massage, même partagé, qui permettra d'atteindre le septième ciel pour y demeurer. Ce n'est qu'un point de départ. L'essentiel de l'aventure est à venir, un peu comme lorsque l'on apprend à faire du vélo ; au début, cela semble extraordinaire de pouvoir avancer sur deux roues, mais on reste encore très loin de pouvoir franchir Tourmalet ! La force du tantrisme est qu'il ne cherche pas à détruire le monde ou ses habitants. C'est une doctrine positive qui n'exclut pas l'amour, mais qui ne peut se confondre avec lui.

 

 

 

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